Placard -Bore out -Dépression prolongée -Maladie Longue Durée -Invalidité -Retraite : Où peut intervenir le Médecin Travail ?

La plupart des Médecins du Travail connaissent parfaitement cette spirale infernale, c'est malheureusement l'enchainement impitoyable de l'évolution de la souffrance au travail. A n'importe quel stade de cette spirale, le salarié ne fait que souffrir; mais où pourrait se situer une intervention du Médecin du travail au niveau de cette chaîne ?

Le meilleur moment pour intervenir, c'est le stade du Bore out ou de l'ennui au travail. En fait, la notion de Bore out syndrom a été conceptualisée par Philippe Rothlin et Peter R.Werder en 2007; en 2008 une enquête Européenne portant sur 11238 employés objectivait que 32% des salariés européens occupent un emploi où ils n'ont rien à faire. Il s'agit d'un syndrome d'épuisement professionnel par l'ennui et il se situe donc à l'inverse du Burn Out (ou épuisement par excès de travail).

Dans le meilleur des cas, vous souffrez d'ennui au travail parce que votre employeur ne vous fournit pas assez de tâches à accomplir ou que votre travail est trop routinier. Mais dans le pire des cas, vous avez été placé au placard ou au "frigo" plus vulgairement, par votre employeur ou tout simplement par votre supérieur hiérarchique, action d'ailleurs pouvant être dénoncée dans tous les cas et reprochée à votre employeur comme une atteinte assimilée à du Harcèlement. D'une façon générale, les salariés victimes de Bore out sont invités (entre autres actions) à prendre l'attache du médecin du travail de l'entreprise pour l'informer de cette éventuelle mise au placard ou de cette insuffisance de tâches pouvant nuire à leur bien être au travail.

Et la meilleure question serait alors : que peut faire le Médecin du travail ? lui déballer les moindres détails de la vie personnelle et professionnelle du salarié pourrait-il faire avancer les choses lorsqu'il y a Bore Out ? Oui dans tous les cas, vous ne perdez rien à en informer le Médecin du travail puisqu'il y a souffrance au travail et que parmi les attributions du Médecin du travail figure la prévention de toute altération de l'état de santé en rapport avec le travail. Un aménagement du poste pourrait alors être proposé par le médecin du travail si ce Bore out est dû à une insuffisance des tâches fournies au salarié, dans un cadre de mauvaise répartition des tâches ou d'une mauvaise organisation du travail ou sinon dans le pire des cas d'une mise au placard avec toujours un même motif invoqué par le Médecin et qui relève d'une insuffisance ou plutôt d'une absence de tâches particulières.

Mon expérience professionnelle avec ce type de Bore out n'est malheureusement pas très fructueuse; quelques salariés une fois mis à l'écart sont repris après injonction ou recommandation du Médecin du travail. Dans la plupart des cas, l'employeur réussit à produire des justificatifs organisationnels ou de service pour justifier l'insuffisance ou l'absence de tâches à offrir au salarié; l'enchainement est alors rapide et inévitable vers des consultations de Psychiatrie au motif de syndromes dépressifs d'origine professionnelle ou mixte et le placement en Maladie de Longue Durée ne tarde pas généralement. Les rares tentatives de reprise du travail même avec une étroite collaboration entre Médecin traitant et Médecin du travail et soumises à des réserves d'aptitude ou à des aménagements de poste ne sont pas toujours couronnées de succès à l'exception de cas particuliers où il s'agit de l'équipe managériale elle même qui change (gouvernance, DRH ou Manager).

Le Médecin du travail en sa qualité de Conseiller, ne devra pas négliger la possibilité de proposer au salarié de procéder à une déclaration d'accident du travail pour dépression "d'origine professionnelle" surtout si un harcèlement moral (à type de mise à l'écart du salarié) pouvait être suspecté (Article L.411-1 du Code la Sécurité Sociale et Arrêt du 2 avril 2003 de la Cour de Cassation), encore faudrait-il faire prouver le "fait soudain et accidentel" et qui devrait être "daté"; ce type de traumatismes psychologiques étant généralement difficiles à prouver, les caisses de sécurité sociales sont malheureusement assez souvent réticentes à reconnaître ce type d'accidents pour rapidement les contester et conclure à l'absence de fait accidentel.

Enfin, il est clair qu'aucune intervention du Médecin du travail ne devient possible pour interrompre ce processus une fois la mise en invalidité prononcée (catégorie 3 et même 2 de la législation française), sauf peut être en catégorie 1 (salarié en temps partiel et soumis à certaines restrictions de postes) pour laquelle un avis du Médecin du travail est indispensable afin de prononcer la limite d'aptitude médicale.

Dans tous les cas, je remarque que les rares salariés pour lesquels une intervention du Médecin du travail a été fructueuse ont été pris en charge par le Service de Santé au Travail dès le début du processus grâce à des requêtes amiables auprès des managers ou de la Direction de l'entreprise, et bien avant l'installation d'un état de Bore Out ou d'une dépression d'origine professionnelle. Je demeure en définitive déterminé à faire porter à la connaissance du Médecin du travail tout événement en relation étroite avec le bien être au travail du salarié bien avant l'installation de signes de souffrance psychique et à ce titre demander à rencontrer son Médecin de Santé au travail constitue une des priorités pour ce type de situations.

Comments

[Yoan]

J'ai vu un reportage sur arte à ce sujet. C'est un véritable souci.

J'ai écrit quelques mots à ce sujet : https://closetoshop.com/view/?id=5534b9de0d775c34798b4573

[Dr_Franky]

La Santé au travail a malheureusement aussi ses limites. La législation doit être renforcée à mon avis et il ne faut pas hésiter à ester en justice en cas de besoin.

Il n' y a que la jurisprudence qui pourrait faire réfléchir et freiner certains employeurs ou managers.

[Thomas]

La médecine du travail est trop souvent sous-estimée. Pourtant face à la détresse des salariés, elle peut aujourd'hui sauver des vies. Les suicides sur un lieu de travail sont trop nombreux, tout comme les cas de burnout.