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" La Gazette du Médecin du Travail "
22 septembre 2023

Surcharge de travail chez les urgentistes : Constat d’un médecin du travail en direct d’un service d’urgence Parisien

Urgence

Je ne suis pas médecin du travail d’un service hospitalier, je n’assure pas non plus la couverture médicale du travail de professionnels de santé ; simplement une visite tout à fait fortuite dans un service des urgences d’un grand hôpital Parisien m’ont amené à faire les constations qui vont suivre avec l’avantage du regard d’un médecin du travail spécialiste des analyses sur terrain des conditions de travail et des études de postes divers.

Il est 18 heures, j’accompagne vers un grand hôpital Parisien un ami qui a présenté depuis quelques heures des douleurs thoraciques très suspectes ; nous n’avions pas appelé le 15 parce nous étions attablés à un restaurant à proximité de cet hôpital. A notre arrivée, l'accueil nous place en priorité 2 et nous sommes reçus en moins de 10 minutes par le staff paramédical qui procède aux premiers gestes nécessaires : prise des constantes vitales et électrocardiogramme. Nous sommes envoyés dans une seconde salle d'attente en interne où au bout de 10 minutes nous sommes reçus par une étudiante en médecine qui procède à un interrogatoire minutieux ainsi qu'à un examen clinique sommaire ciblé sur la pathologie en cause. Elle nous informe après 15 minutes d'entretien qu'elle va communiquer son examen à son "chef" en l’occurrence le médecin urgentiste de garde qui viendra examiner le patient à nouveau et prendre les décisions qui s'imposent en nous laissant en attente dans une des salles de consultation.

Il est 19 heures 30 minutes lorsque le médecin urgentiste arrive dans notre salle de consultations. Elle résume l'examen clinique effectué par son étudiante et pose des questions complémentaires plus ciblées. L'électrocardiogramme est normal, elle décide conformément à la procédure d'effectuer des examens sanguins complémentaires de routine en particulier un taux de troponine et des Ddimères. Une demi heure plus tard, le prélèvement de sang est effectué et adressé en laboratoire, une voie d'abord (au cas ou) est également mise en place. Retour en salle d'attente dans l'attente des résultats prévus dans au moins 2 heures 30 minutes nous prévient-on.

 En fait nous passerons dans un premier temps 3 heures dans cette salle d'attente avant d'être appelés à nouveau pour un nouvel examen sur lequel je reviendrai un peu plus loin. Pendant cette première période d'attente (puisque il y en aura une autre plus tard malheureusement), j'ai eu le privilège de pouvoir observer d'un oeil professionnel tout ce qui se passait aux urgences : un va et vient incessant de professionnels de santé, infirmiers, brancardiers, aides-soignants et en particulier 2 médecins qui revenaient périodiquement (en moyenne toutes les heures) interpeller des patients installés en salle d'attente. Au regard du type d'urgences présentés par ces patients, j'en concluais qu'il y avait un médecin urgentiste pour les cas chirurgicaux et un autre médecin urgentiste pour le reste des urgences diverses (ce que nous qualifions en jargon médical d'urgences médecine ou non chirurgicales). Ces médecins faisaient la navette (à une vitesse vertigineuse) entre la salle d'attente, la salle de consultation ou de soins et une grande salle équipée de bureaux informatisés ou tout le monde s'attelait à saisir sur son ordinateur des données ou à rédiger des rapports.

Vu le nombre de personnes installées en salle d'attente, j'avais estimé que le nombre de médecins était à mon avis suffisant pour répondre aux urgences présentes; je me posais donc la question de savoir pourquoi le temps d'attente était si long puisque aux dires des accompagnants en salle certains étaient déjà là depuis au moins 4 ou 5 heures pour de simples traumatismes, ou de simples plaies à suturer. Et j'avais eu ma réponse en me déplaçant au niveau de ce fameux grand bureau ou tout le monde était devant son ordinateur : les deux médecins de garde (puisque ce sont eux qui m'intéressaient le plus) passaient la plus grande partie de leur temps à rédiger des rapports de passage aux urgences, à saisir des données, des résultats des examens, des réponses aux questions posées aux patients et même de mentionner des recommandations faites oralement à ces derniers.

J'estimais que le temps administratif dépassait de loin le temps de la consultation ou de l'entretien avec les différents patients concernant ces deux médecins de garde. Finalement j'en concluais aussi que l'intervention des étudiants en médecine ne servait à rien et n'apportait rien de particulier pour réduire la charge de travail de leurs seniors.

Vers 23 heures, mon ami est finalement appelé par une aide soignante et emmené vers une autres salle pour y effectuer un angioscanner. En fait, on ne lui explique rien, ni le pourquoi de l'examen ni la procédure; juste des questions de routine quant à une éventuelle allergie à l'iode.J'interviens donc pour poser les bonnes questions et l'opérateur de radiologie m'explique que le taux de Ddimères était assez élevé et qu'il fallait éliminer un diagnostic d'embolie pulmonaire devant ses douleurs thoraciques. Évident comme raisonnement quand on est médecin mais pour monsieur tout le monde ce ne sera que du stress et de l’inquiétude. Fin de l'examen, le résultat n'est pas communiqué au patient et retour dans la salle d'attente.

Je ne remarque aucun accroissement important du nombre de patients dans la salle, juste 2 nouvelles urgences banales et très relatives dont une entorse de la cheville et une petite plaie d'allure domestique. Et notre attente va perdurer durant toute la soirée et dépasser minuit. Pourtant concernant mon ami, le résultat de l'angioscanner était probablement prêt, le bilan sanguin aussi, l'électrocardiogramme effectué et normal; alors pourquoi tout ce retard alors qu'il n'y avait pas vraiment foule aux urgences à cette heure là de la nuit.

Je reviens observer la grande salle informatisée et je remarque que nos médecins sont toujours devant leur ordinateur à écrire et réécrire des rapports, des ordonnances, des lettres de liaison, à parfois revenir vers certains patients en salle pour recueillir des compléments d'informations à mentionner sur leurs rapports. Au total, la charge mentale de ces médecins est vraiment immense : la responsabilité est énorme face à toutes ces écritures, ces mentions obligatoires, ces recommandations qu'il faut surtout mentionner. Je pense que ce n'est plus l'acte médical en lui même ou la conduite thérapeutique qui constituent la principale préoccupation de ces médecins mais plutôt ce qu'ils vont mentionner sur leur fameux rapports.

Pourquoi ces médecins ne sont-ils pas munis de dictaphones qui faciliteraient leur tâches en étant assistés par des employés administratifs assurant un secrétariat durant la nuit ? ou à la limite pourquoi ce ne sont pas les étudiants en médecine qui rédigeraient ces rapports sous contrôle et instructions de leur aînés ?

Vers 2 heures du matin, mon ami est enfin appelé par le médecin de garde, la pauvre urgentiste exténuée s'assoit en salle d'attente prés du patient, elle lui annonce que tous les examens sont normaux et qu'il pourra rentrer chez lui. Il devra programmer une consultation de cardiologie au plus tôt pour faire le point de cet épisode de douleurs thoraciques. Elle s'excuse à nouveau pour revenir en salle d'ordinateur rajouter la recommandation de consultation ultérieure sur son rapport, pour imprimer son rapport de passage aux urgences et son ordonnance d’antalgiques et revenir vers le patient pour enfin nous autoriser à quitter les urgences vers 2 heures 30 du matin.

Drôle de périple, au total 6 heures 30 minutes de présence aux urgences. Une moyenne équitable vous me direz pour assurer une sécurité optimale et pour le patient et pour le professionnel de santé vue la responsabilité de plus en plus immense qui pèse sur ces professionnels par rapport à leurs écrits en particulier, lesquelles finalement font uniquement foi en cas d'incident, de réclamation ou de complications.

Je ne trouve absolument rien à reprocher aux médecins, rien non plus aux autres professionnels et cadres de santé. Le temps passé aux urgences est tout à fait acceptable eu égard aux conditions de travail en l'état. La charge mentale de travail est trop élevée pour ces urgentistes; les contraintes sont principalement organisationnelles et devront être réexaminées attentivement. A noter que ces médecins sont contraints de circuler à une vitesse vertigineuse dans le service juste pour éviter d'être interpellés par des patients impatients d'attendre des heures durant et éviter ainsi des altercations avec ces derniers ou leurs accompagnants pouvant être à l'origine de violences ou d'agressions à leur encontre, ce qui contribuerait encore plus à accroitre leur charge mentale au travail.

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